Emmanuel Daydé, Les nocturnes africains d’Abderrahim Yamou

 

Au départ, ces tableaux, toujours abstraits, éprouvent la matière : ils couvrent d’une épaisse couche de terre ou de sable brun la surface du tableau, qui est ensuite martelée, comme une surface sculptée. Puis, peu à peu, l’envie de retrouver une matière plus picturale, libre et fine, se fait sentir et les figures apparaissent.

Les «Paysages nocturnes», quoique figuratifs, sont traités de façon abstraite avec des couleurs ocres, allant du brun au noir, sur lesquels surgissent herbes et branchages traités de manière calligraphique. Plantes et écritures apparaissent ici comme des formes et des forces primaires, émergeant de la nuit africaine originelle.

De la même façon, la sculpture de Yamou est vécue comme une sorte de réceptacle de la forme et du vivant. Elle s’inspire
profondément de l’art africain traditionnel, incarné notamment par les statuettes N’kondé du Congo. Ce qui fascine l’artiste dans ces N’kondés, c’est le processus de création et l’interaction sociale que représente l’objet fini. En effet, la statuette est taillée à même le bois par un sculpteur, puis le prêtre la sacralise en l’enduisant, tout d’abord, d’un amalgame de sang, de résines et de dépôts végétaux et ensuite de clous. Cette sculpture devient alors le gardien du contrat social, moral, conjugal et spirituel, signifié par ces dizaines de lames métalliques ou de clous que l’on plante dans la statuette : par ces incisions, elle devient la gardienne de ces serments.

 

En correspondance des «Paysages nocturnes», Yamou réalise ainsi une grande sculpture amovible qu’il intitule «Horloge biologique» : composée de douze éléments en bois, recouverts de bitume, sur lesquels il plante des clous sur toute la surface, cette horloge, qu’il compose en cercle, intègre au sommet de chaque sculpture une hélixine, c’est-à-dire une plante vivante.

La double présence des clous métalliques et des plantes vertes dans les oeuvres en trois dimensions de Yamou cherche à retrouver un dynamisme semblable à celui des statuettes congolaises. « La plante est continuité et changement ; elle exige une certaine interaction. Elle est aussi photosynthèse ; elle apporte la vie. Le clou, le métal est aussi continuité et changement. Il rouille, il porte en lui le processus d’oxydation, de détérioration, la mort. »

L’œuvre de Yamou tente de se rapprocher du monde archaïque de la forme pour montrer ainsi les logiques universelles de la vie.

Emmanuel Daydé
In catalogue de l’exposition « Suites marocaines », juin 1999, Paris