Marie Moignard, Une inébranlable force de vie

Redonnez-leur…
Redonnez-leur ce qui n’est plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi et s’agiter sur l’herbe.
Apprenez-leur, de la chute à l’essor, les douze mois de leur visage,
Ils chériront le vide de leur coeur jusqu’au désir suivant ;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres ;
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu.
René Char
Fureur et mystère, 1948.

Tout commence toujours quelque part. Une réaction en entraîne une autre. Ce sont les lois immuables de la nature. C’est aussi le modus operandi de Yamou. Son œuvre ouvre de multiples portes sans toutefois toujours les emprunter. Pour cette nouvelle série, les lignes qui jusque-là traversaient ses toiles, Yamou a eu envie d’en forcer le trait. On pourrait croire que ces volutes végétales ont été inspirées par le seul aplat du tracé. C’est en réalité le volume qui est venu nourrir un désir de poursuivre ces segments dans l’espace. A l’origine, il y a une sculpture en bois recouverte de terre qui garnit actuellement le laboratoire-atelier de Yamou, couronnée d’un Adam fétiche et d’une Eve africaine. On peut aussi en trouver la trace dans certaines œuvres, comme Welcome ou Black Seed, où un réseau de branchages se perd en spirales irrégulières et infinies. Ces circonvolutions ne semblent venir de rien et n’aller nulle part. Pourtant, elles transportent une histoire.

 

Yamou, Les branches nues. 2017
Yamou. Huit départs. 2017

Ses branches à lui ancrent autant qu’elles tracent des chemins à emprunter. Elles se déploient en entrelacs sur des grands formats majestueux, forêts de l’imaginaire, se poursuivent d’une toile à l’autre. Mais, sans début ni fin, elles déroutent plus qu’elles ne guident. Ces fragments de chemins sont comme des bribes de récit.

Le peintre du vivant qu’est Yamou n’en oublie pas pour autant son indissociable sœur, la mort. Que vaut la vie si elle est vouée à disparaître ? Sa valeur, c’est la lutte. Celle qu’il faut mener en acceptant les obstacles, les détours et parfois les retours en arrière, qui permettent d’avancer. A l’image de René Char – ce poète puissant dans lequel Yamou puise son art de magnifier l’existence – l’artiste honore ces lignes et leur « inébranlable force de vie ». Elles paraissent mornes, s’enchevêtrant dans un parcours sinueux, complexité inutile. Elles mènent en réalité le plus beau des combats, celui de transporter la vie, de la terre au ciel, puisant dans les racines pour nourrir quelque chose de plus haut que soi. Cette « leçon », qu’il a la pudeur de ne pas qualifier d’espoir, c’est celle que Yamou a choisi de nous redonner.

Yamou, Un non engageant. 2017
Yamou, Les liens. 2017

Puis vient se superposer par un procédé de collage l’illusion du branchage, réseau de sillons obtenu par l’application d’aquarelle et de brou de noix. Ces lignes personnifiées deviennent de véritables branches, des troncs mêmes parfois, des fragments d’arbres et de buissons. Yamou avance toujours sur cette fine frontière entre l’abstrait et la figuration. Elles côtoient les motifs habituels de son « vocabulaire » visuel, comme il le dit lui-même : cellules-graines, fleurs-virus, tacheliquide, lueur-esprit, mais pour composer une autre grammaire. Ces branches évoluent ainsi dans des paysages cellulaires, aquatiques et cosmogoniques à la fois. « Nous sommes en fait aveugles à tout, hormis l’insignifiante portion d’univers où nous vivons » rappelle l’astronome et photographe David Malin. Yamou brise ces valeurs d’échelle pour nous donner à voir l’impossible.

Ses branches à lui ancrent autant qu’elles tracent des chemins à emprunter. Elles se déploient en entrelacs sur des grands formats majestueux, forêts de l’imaginaire, se poursuivent d’une toile à l’autre. Mais, sans début ni fin, elles déroutent plus qu’elles ne guident. Ces fragments de chemins sont comme des bribes de récit.

Yamou, Double ciel. 2017

Le peintre du vivant qu’est Yamou n’en oublie pas pour autant son indissociable sœur, la mort. Que vaut la vie si elle est vouée à disparaître ? Sa valeur, c’est la lutte. Celle qu’il faut mener en acceptant les obstacles, les détours et parfois les retours en arrière, qui permettent d’avancer. A l’image de René Char – ce poète puissant dans lequel Yamou puise son art de magnifier l’existence – l’artiste honore ces lignes et leur « inébranlable force de vie ». Elles paraissent mornes, s’enchevêtrant dans un parcours sinueux, complexité inutile. Elles mènent en réalité le plus beau des combats, celui de transporter la vie, de la terre au ciel, puisant dans les racines pour nourrir quelque chose de plus haut que soi. Cette « leçon », qu’il a la pudeur de ne pas qualifier d’espoir, c’est celle que Yamou a choisi de nous redonner.

Marie Moignard
Texte paru à l’occasion de l’expositon de l’artiste à l’Atelier 21, Casablanca, 2017